Circulaire du directeur des contributions L.I.R. n° 3/1 du 24 mai 2023
Les conjoints qui remplissent les conditions pour qu’une imposition collective ait lieu, peuvent, sous certaines conditions, également demander d’être imposés individuellement avec ou sans réallocation de revenu (imposable ajusté).
Jusqu’à l’année d’imposition 2021 comprise, la demande conjointe non révocable pour l’imposition individuelle avec ou sans réallocation de revenu doit être soumise au plus tard le 31 mars de l’année d’imposition suivant l’année d’imposition concernée.
Avec effet à partir de l’année d’imposition 2022, le délai pour la demande non révocable pour l’imposition individuelle avec ou sans réallocation de revenu a été étendu au 31 décembre de l’année d’imposition suivant l’année d’imposition concernée. Le nouveau délai du 31 décembre s’applique donc pour la première fois à la demande conjointe non révocable concernant l’année d’imposition 2022, qui est à soumettre jusqu’au 31 décembre 2023.
La présente circulaire traite de l’imposition collective des conjoints visée par l’article 3 L.I.R. L’imposition individuelle, quant à elle, est traitée par des circulaires spécifiques, à savoir la circulaire L.I.R. n° 3ter/1 du 24 mai 2023 concernant l’imposition individuelle dite « pure » et la circulaire L.I.R. n° 3ter/2 du 24 mai 2023 relative à l’imposition individuelle dite « avec réallocation de revenu ». Les précisions qui suivent ne concernent donc que les conjoints imposables collectivement.
L’imposition collective
L’imposition collective constitue le régime de droit commun en ce qui concerne l’imposition desrevenus des conjoints résidents. En effet, pour que les conjoints ne soient pas imposés collectivement, il faut que les deux conjoints demandent conjointement au plus tard jusqu’au 31 décembre de l’année qui suit l’année d’imposition concernée une imposition individuelle dite « pure » suivant les modalités des alinéas 1er et 2 de l’article 3ter L.I.R. ou une imposition individuelle « avec réallocation de revenu » conformément à celles des alinéas 1er et 3 du même article.
Ainsi, le délai du 31 décembre dépassé sans qu’une telle demande conjointe n’ait été formulée ou en cas de désaccord des conjoints sur leur mode d’imposition, une imposition collective devra avoir lieu conformément aux dispositions de l’article 3 L.I.R. auquel il ne pourra, dans ces conditions, être dérogé.
L’imposition collective des conjoints est une des plus importantes dérogations au principe que chaque contribuable est soumis à l’impôt sur le revenu en raison de son propre revenu. Elle peut simplifier l’assiette de l’impôt par le cumul des revenus et le recouvrement de l’impôt par la solidarité des redevables. Elle a lieu si les conjoints résidents « ne vivent pas en fait séparés en vertu d’une dispense de la loi ou de l’autorité judiciaire ». Afin de permettre une administration expéditive de l’impôt, il convient de présumer que des conjoints remplissant par ailleurs les conditions de l’imposition collective ont vécu ensemble pendant la période en question, comme la loi civile les y oblige. L’imposition collective n’est par conséquent écartée que si la séparation de fait est dûment constatée.
La séparation de fait
La séparation de fait ne résulte pas du simple fait que les conjoints entretiennent des ménages distincts, mais suppose, outre une habitation réelle en des lieux différents, la rupture de la communauté de vie et d’intérêts qui fait la substance du mariage, car elle désigne la situation de conjoints qui ont en fait cessé de cohabiter, c’est-à-dire de partager les mêmes toit, table et lit.
La constatation et l’appréciation de cette situation de fait appartiennent à l’administration qui suit, comme pour tant d’autres situations de fait, les règles habituelles de sa procédure inquisitoire (paragraphe 204 Abgabenordnung – AO).
En pratique, la tâche du bureau d’imposition est considérablement facilitée par la présomption en faveur de l’imposition collective (voir plus haut), par l’intérêt des contribuables à prouver la séparation alléguée et par le principe que le bureau d’imposition doit se fonder sur l’intime conviction qu’il retire raisonnablement de son instruction.
Il importe de souligner que la séparation de fait ne tient en aucune manière à des formalités telles qu’une déclaration à l’administration communale ou même à l’Administration des contributions directes. Ces indices peuvent être concluants, mais se prêtent trop à la simulation pour emporter la conviction dans le doute. En sens inverse, ces formalités ne sont pas nécessaires pour faire admettre une séparation de fait si, par ailleurs, elle ne fait pas de doute.
Pour citer un autre exemple, le fait que deux conjoints aient des logements rapprochés dans l’espace ou même dans la même résidence peut faire douter de leur séparation mais ne l’exclut pas nécessairement : tout dépend des circonstances.
Il convient de rappeler que la seule absence même prolongée d’un conjoint emprisonné ou interné ne vaut pas séparation de fait.
La dispense de la loi ou de l’autorité judiciaire
Depuis 1987, la séparation de fait, telle que décrite ci-dessus, est nécessaire pour écarter l’imposition collective. Mais l’imposition collective n’est écartée qu’à condition que la séparation de fait se fonde soit sur une dispense de la loi, soit sur une dispense de l’autorité judiciaire.
Actuellement, aucune disposition légale n’existe en droit luxembourgeois qui dispenserait de plein droit les conjoints de leur obligation de vivre ensemble. Dans tous les cas importants où la loi envisage une telle dispense elle prévoit l’intervention d’une décision judiciaire. Ces hypothèses se ramènent à deux, du point de vue pratique.
La dispense judicaire peut se présenter sous les formes suivantes :
- En cas de violence domestique [articles 1017-1 et suivants du Nouveau code de procédure civile (N.C.P.C.)] suivie d’une procédure de divorce
Dans ce cas, le procureur peut ordonner l’expulsion de l’auteur pour une durée de 14 jours. Le juge aux affaires familiales (J.A.F.) peut prononcer à l’égard de la personne expulsée une interdiction de retour au domicile pour une durée maximale de 3 mois consécutive à l’expiration de la mesure d’expulsion. Les conjoints peuvent donc être imposés séparément si, pendant cette durée, le juge aux affaires familiales confirme la résidence séparée dans le cadre d’une procédure de référé sur les mesures provisoires de divorce ou les y autorise suite à leur audience dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel.
Exemple :
Un conjoint est expulsé par le parquet le 2 novembre 2018. Cette interdiction de retour au domicile dure jusqu’au 16 novembre 2018. Le J.A.F. prolonge la mesure d’expulsion de trois mois en date du 13 novembre. Cette mesure dure donc jusqu’au 16 février 2019.
Si les parties entament le divorce pendant cette période de trois mois, le J.A.F. peut dispenser les conjoints de vivre ensemble dans le cadre d’un jugement au fond ou des mesures provisoires. Les conjoints sont donc à considérer avoir été autorisés à vivre séparément à partir du 1er janvier 2019 si le J.A.F. prend cette décision avant l’expiration de la prolongation de la mesure d’expulsion, soit avant le 16 février 2019.
Si aucune procédure de divorce n’est lancée, ils continueront à être imposés collectivement, à moins qu’ils ne demandent une imposition individuelle selon les modalités de l’article 3ter L.I.R. - En cas de divorce
Depuis le 1er novembre 2018, le J.A.F. a compétence exclusive, sur base de l’article 1007-1 du N.C.P.C., pour les affaires de :
– divorce par consentement mutuel (articles 230 et 231 du Code civil) ;
– divorce pour rupture irrémédiable des relations conjugales (articles 232 à 237 du Code civil) ;
– séparation de corps (articles 306 à 311 du Code civil) ;
– mesure d’expulsion en cas de violence domestique (loi modifiée du 8 septembre 2003).
Le J.A.F. est compétent tant au fond que pour les mesures provisoires (article 1007-1 du N.C.P.C.). Il peut également intervenir comme juge des référés exceptionnels (nouveaux articles 1007-11 et 1007-49 du N.C.P.C.).
Ainsi, dès qu’un divorce pour rupture irrémédiable est entamé, chaque partie peut saisir le J.A.F. afin d’obtenir une ordonnance fixant les mesures provisoires dont notamment la résidence séparée des conjoints pendant la procédure de divorce (nouvel article 235 du Code civil).
Rien ne change donc sur ce volet par rapport à l’ancien système : l’ordonnance vaut dispense de cohabitation et autorisation à vivre séparément.
Si aucune dispense de cohabitation n’est accordée en cours de procédure, c’est le jugement au fond qui vaut.
Dans le cadre d’un divorce à l’amiable, le jugement homologue la convention de divorce réglant la résidence séparée, convention faisant partie intégrante du jugement de divorce par consentement mutuel.
Supposons que les conjoints soient convoqués fin décembre 2022 devant le juge afin de divorcer à l’amiable. Si le jugement intervient après le 1er janvier de l’année suivante, les conjoints restent imposables collectivement au titre de l’année d’imposition 2023, à moins qu’ils ne demandent une imposition individuelle selon les modalités de l’article 3ter L.I.R.
Il ne faut pas confondre avec ces deux hypothèses l’autorisation de résidence séparée que le tribunal peut accorder en dehors de toute procédure de divorce si les conjoints ne sont pas d’accord sur une résidence commune (article 215 Code civil). Dans ce cas, l’autorisation de résidence séparée n’est pas une dispense de cohabitation et ne fait donc pas obstacle à l’imposition collective.
En pratique, la première réaction à une allégation de séparation de fait sera donc de demander la production de l’ordonnance du juge ou le jugement qui autorise la résidence séparée. A défaut de cette pièce, la demande doit être refusée.
Mais la production de la dispense judiciaire n’entraîne pas encore à elle seule l’imposition séparée. L’imposition collective n’est exclue que si les conjoints « vivent en fait séparés » au sens expliqué ci-dessus.
Lorsqu’une imposition collective est exclue sur base d’une séparation de fait en vertu d’une dispense, une imposition individuelle (avec ou sans réallocation de revenu) au sens de l’article 3ter L.I.R. est également exclue. L’imposition séparée devant, le cas échéant, avoir lieu sera celle prévue par le régime de droit commun sans que l’article 3 L.I.R. n’impose une imposition collective.
Aux fins de la constatation à la date clé du 1er janvier à laquelle doivent être réunies toutes les conditions de l’imposition collective, seule la séparation de fait « en vertu d’une dispense », c’est-à-dire la séparation postérieure à la date de la dispense judiciaire, entre en considération.
Exemple :
Le conjoint qui demande le divorce le 15 décembre 2022 et qui est autorisé à résider séparément le 3 janvier 2023 ne peut utilement invoquer la séparation pour 2023 et sera imposé collectivement avec son conjoint pour l’année d’imposition 2023, à moins que les deux conjoints ne demandent une imposition individuelle selon les modalités de l’article 3ter L.I.R.
Compétence
En cas de séparation de fait alléguée par un contribuable résident, le bureau d’imposition doit établir en premier lieu si le conjoint a son domicile fiscal ou son séjour habituel au Grand-Duché de Luxembourg, l’imposition collective en vertu de l’article 3 L.I.R. en dépend. Cette recherche se fera, sur la base des indications que pourra fournir le contribuable, à l’aide du fichier signalétique, sinon du registre de la population de la dernière résidence connue du conjoint et par la prise de tous les renseignements utiles.
Par hypothèse, les conjoints déclarés imposables collectivement par l’article 3 L.I.R. auront des domiciles fiscaux (paragraphe 13 Steueranpassungsgesetz – StAnpG) distincts, qui les rattacheront le plus souvent à des bureaux d’imposition distincts (paragraphe 73a, alinéa 2 AO). Rien ne s’oppose en droit à ce que chaque conjoint se voit imposer par son bureau, car la jonction des impositions en vue d’un bulletin commun (paragraphe 210, alinéa 2 AO) n’est qu’une faculté. Cependant, pour éviter le double emploi et le risque de divergences qu’entraînerait le déroulement parallèle de deux procédures tendant à la même cote d’impôt, les bureaux recourront systématiquement à un règlement de compétence selon le paragraphe 78, alinéa 1er AO.
A cette fin, le bureau d’imposition compétent pour le conjoint le plus âgé s’entendra avec le bureau du conjoint le plus jeune et informera ce dernier à toutes fins utiles à l’aide d’un imprimé dont le modèle est joint en annexe que, conformément au paragraphe 78, alinéa 1er AO, il est seul compétent à son égard en matière d’impôt sur le revenu tant qu’il sera susceptible d’être imposé collectivement avec son conjoint. Cette information qui n’est pas susceptible de voie de recours, paraît nécessaire pour permettre au conjoint le plus jeune de remplir ses obligations de déclaration et de communication.
Bien entendu, le règlement de compétence ci-dessus décrit est inapplicable aux cas où les règles de compétence en vigueur rattachent l’un des conjoints, en raison de sa profession et du lieu où il l’exerce, à un bureau qui n’est pas nécessairement celui de son domicile fiscal. La compétence spéciale prévaut aussi sur le domicile fiscal du conjoint imposable collectivement.
Lorsque l’un des conjoints quitte le Luxembourg et que les dispositions de l’article 154, alinéa 6 L.I.R. sont invoquées, il revient au bureau d’imposition compétent pour le conjoint résident de procéder à l’imposition par voie d’assiette.
Procédure
A tous autres égards que la détermination matérielle de l’impôt sur le revenu, les conjoints imposables collectivement restent deux contribuables distincts ayant leurs droits et obligations propres, notamment dans la procédure d’imposition. C’est encore plus vrai, quand l’imposition collective s’applique à des conjoints qui vivent déjà séparés de fait et sont forcément plus conscients de leur autonomie.
Dans l’objectif de permettre une simplification de l’action administrative, la loi du 29 juin 2016 portant modification du paragraphe 91, alinéa 1, de la loi générale des impôts modifiée du 22 mai 1931 (« Abgabenordnung ») (Mémorial A – N° 112 du 30 juin 2016, page 1994) a toutefois introduit une exception à ces principes pour le cas de la notification des bulletins d’impôt et autres décisions aux conjoints imposés collectivement et partageant une habitation commune.
Avant les modifications opérées par la loi précitée du 29 juin 2016, chacun des conjoints soumis à une imposition collective, alors même que résidant tous les deux à la même adresse et ayant l’obligation légale de vivre ensemble en vertu de l’article 215 du Code civil, se voyait adresser par les bureaux d’imposition son propre exemplaire du bulletin commun (« einheitlicher Steuerbescheid » au sens du paragraphe 210, alinéa 2 AO).
La loi précitée du 29 juin 2016 a complété le paragraphe 91 AO en introduisant une dérogation à la règle générale de la notification individuelle visée à l’alinéa 1er, première phrase du paragraphe 91 AO. Ainsi, les bureaux d’imposition procèdent à un envoi unique des bulletins d’impôt et autres décisions à l’adresse commune des conjoints imposés collectivement. Une telle notification commune vaut notification à chacun des destinataires nommément désignés dans ces décisions. Toutefois, l’un des conjoints faisant l’objet de l’imposition collective a toujours la possibilité de demander de manière expresse le bénéfice d’une notification individuelle.
Si les conjoints imposés collectivement ont des adresses séparées, il est procédé d’office à un envoi à chacune des deux adresses.